"Le deuil, ça dure 6 mois."
Note : cet épisode est, entre autres, une compilation de notes iPhone rédigées ces derniers mois. Elles abordent le décès de notre fille Iris.
6 mois de deuil. Une demi-année. Une demi-année depuis que, quelques heures après sa naissance, à terme, notre premier enfant est décédé. Iris a fait un passage éclair dans nos vies, celle de Camille et la mienne. Un passage qui, 6 mois plus tard, occupe toujours la plupart de mes pensées.
Au moment de clore le dernier chapitre de la “to-do list” de ma vie de trentenaire j’ai découvert à la place la version ultime de l’échec. L’échec intime, celui qui fait sortir chaque repère de vie de la grille de lecture de l’existence.
Le vide
J’ai déjà raconté les premiers jours et les évènements autour du décès d’Iris. De ces premiers jours le choc a laissé la place au vide des premières semaines. Parce qu’une fois les mots dits, les intentions partagées, le monde nous a laissé là, entre deux identités. Celle d’être parents, celle de ne pas l’être.
Dans ces premières semaines j’ai beaucoup théorisé ma tristesse. J’ai lu. J’ai écouté. J’ai parlé. À ma psy, à des amis. Mais même avec ma grande prétention de ne pas vouloir croire – au destin, au divin, à l’occulte –, j’ai commencé à parfois glisser vers l’incompréhension et un sentiment d’injustice.
Le “parfois”
“Et puis parfois c’est moins facile”. C’est d’ailleurs ce que je réponds, souvent, à ceux, qui, entre deux souffles de normalités, me demandent si “ça va”. Ce “parfois”, il est caché derrière la porte, il attend tranquille, il aime se gonfler de puissance pour mieux me désarçonner. Ce “parfois”, je le terrasse au quotidien avec l’occupation, je lui coupe le souffle en l’écrasant de tout, j’essaie de ne jamais lui donner la chance de se réveiller. Parce que l’amour, les autres, la culture, le travail, c’est toujours mieux qu’un demi-xanax.
Mais de tout ce que je peux mettre en œuvre pour garder ce “parfois” sous clé, je ne peux rien contre le moment de solitude. Le plus dur, c’est quand je le sens arriver, quand il se dessine dans mon esprit, quand il se cale un rendez-vous lui même dans mon agenda. À date, à anniversaire, à évidence. Ce début d’année 2023 a été particulièrement difficile, à avoir la nette impression d’être spectateur sans grand but du temps qui passe, comme une plongée dans le noir de l’hiver sans la rencontre d’un éventuel rebond au fond de la piscine. Et quand je n’ai plus de larmes, je n’ai plus que le fond de moi qui remonte en nausée tirée de tout mon être, comme une orbe de noirceur qui m’accable.
Rituels
Bien avant le réveil, bien avant le jour. Depuis 6 mois, mon monde s’agite aux aurores. Plus jeune, je me demandais toujours ce que foutait ma grand-mère avec ses “la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt”. Elle avait tort et raison en même temps. Oui, quand on est vieux, on se lève tôt. Non, ce n’est pas pour “seize the day”. Si je me réveille tôt, c’est que mon esprit ne prend pas le temps de se reposer, même avant l’aube hivernale. Il ne faudrait pas rater quelques heures de tristesse.
Dans ma cuisine, un joli set-up pour se faire un café filtre de qualité. Une petite Hario v60 en céramique rose pâle. Mais c’est un café en capsule que je me fais couler, un long, tout simple. Un verre d’eau citronnée et je migre sur mon canapé. Si Camille est là, on parle. De nous, des autres, du monde. Sinon, je scroll.
Je scroll pour ne pas laisser le rien s’installer. Le rien, ça rend fou. Ça incline le sol du salon de quelques degrés pour qu’on finisse par glisser dans la folie. Une folie que j’avais déjà vue chez les autres, mais pas chez moi, le pragmatique, le raisonnable.
Une fois, pendant deux jours, je me suis demandé si je n’avais pas donné une part de gâteau au chocolat à un gnome et que de fil en aiguille il m’avait pris mon premier enfant.
La faiblesse de l’humain l’oblige. À croire. À s’imposer des rituels. Parce que sans, on est obligé d’assumer nos tristesses.
Quand j’assemble les paragraphes ci-dessus à partir de mes notes iPhone pour leur donner un semblant de colonne vertébrale – après tout, éditer, c’est mon métier –, je rentre de New-York, inspiré. J’y ai vu ce tableau de Klimt en vrai. Il est la parfaite illustration de mon monde actuel, brillant et porté par une femme, malgré le poids de l’existence.
Hope, II – Klimt, au MoMa
J’ai hésité à envoyer cet épisode, parce qu’il n’est pas de ceux qui mettent une belle ambiance, et puis je me suis dit je que certains pourraient y trouver une forme de réconfort à leur propre peine. Un réconfort que j’ai trouvé cette semaine dans un épisode de One Story to Read Today, la newsletter littéraire de The Atlantic. On y lit l’histoire de Colin Campbell et du deuil de ses deux enfants décédés dans un accident de la route. Pas la même vie, mais j’y ai trouvé des similarités que je cherchais et que je ne trouvais pas ailleurs.
“(Our friends) They didn’t even know how to greet us anymore.”
“I don’t give a shit about your favorite cat who died, or your grandma who died, or your uncle who had a heart attack at 60.”
“If anything, our senses of humor got even darker.”
Trois phrases, sur les autres, leur façon de nous aborder, et sur la seule défense que je connaisse ; l’humour et les mots.
Pour finir, j’y ai trouvé une définition assez juste de ce que je ressens depuis 6 mois.
“Our instincts tell us to run from pain. But in the case of grief, our instincts are wrong. The reason it hurts so badly is because we love (them) so much.”
Si dur, si âpre, avant la lueur d’espoir. Je ne sais donc pas si “le deuil ça dure 6 mois” comme dans les livres, mais je sais que dans 6 mois, j’irai mieux.