note : cet épisode aborde le décès de notre petite fille, Iris. Certains passages peuvent-être difficiles.
“Code rouge”, deux mots avant que tout s’emballe. Il est un peu moins de 6 heures du matin ce mercredi 31 août quand la médecin les prononce. La veille, vers 21 heures, je suis arrivé avec Camille à la maternité. Le terme de notre bébé est dépassé de deux jours et depuis un peu plus de 24 heures les contractions s’intensifient, de toutes les 15 minutes à toutes les 5 minutes, signal qu’il est temps. Temps de voir naître notre premier enfant. Toute la nuit, dans une salle de naissance de la maternité, on se repose, on appréhende, on rigole, on vit ce que tous nos amis parents nous ont déjà raconté. On s’infuse du moment, des derniers instants avant ce qui devait être le reste de nos vies. “Code rouge”, le lit médicalisé de Camille roule déjà vers le bloc pour une césarienne d’urgence quand nos regards se disent l’amour qu’on se porte, presque timides dans l’effervescence du moment. Je me retrouve seul, assis avec nos sacs dans la salle d’attente de la maternité. Seul, comme jamais je n’ai été seul.
Un néon, le silence du service qui gère l’urgence au bout du couloir, pendant trois quarts d’heure, les plus longs de ma vie, j’ai cru mourir. Impossible de retranscrire tout ce qui m’a traversé pendant cette éternité nocturne, mais j’espère sincèrement ne jamais avoir à remettre les pieds dans cette petite pièce, y ayant déjà enfermé tous mes cauchemars. J’ai souvent parlé de clarté d’esprit ici et je suis de nature pragmatique, mais après plus de 40 heures à ne pas avoir vraiment dormi, j’ai vu le fond de moi, entre culpabilité de l’instant et peur primale. Et puis j’ai attendu, sans rien pouvoir faire, seulement espérer.
J’ai forcément perdu la notion du temps, mais il doit être presque 7 heures quand enfin une médecin vient me chercher. Suis-je pour la vie seul au monde ? Mes yeux embués accrochés à ses lèvres, je sors enfin de cette pièce maudite en essayant d’y laisser mes peurs pour enfin comprendre ce qui se passe. Camille est en salle de réveil, seule mais endormie après une anesthésie générale. Notre fille, elle, est en réa, son cœur n’a pas démarré naturellement. On me donne les mots, on me prépare à ne pas espérer, on me fait signer des papiers. J’arrive devant la petite pièce où tout se passe, où les moniteurs bipent tous les uns après les autres, et où le personnel soignant se relaie dans un ballet méthodique. On m’attrape le bras, pour inscrire “un prénom” sur un petit tableau effaçable.
“Iris, elle s’appelle Iris.”
Et là, je la vois. Si belle, si petite. Cette Iris avec qui je discute depuis 9 mois. On parle souvent du premier contact avec un bébé, on nous raconte que parfois l’amour des films n’est pas instantané, mais pour moi ces premières secondes aussi difficiles soient-elles balaient tous mes doutes sur le désir d’être père. Iris est sous respirateur et les médecins sont clairs avec moi ; il faudra un miracle. Je ne suis pas croyant et à ce moment là, je sais que le sort est scellé. Il est 8 heures, heure du changement de personnel du service à la maternité. Heureusement on s’occupe de moi, impatient maintenant d’une seule chose : pouvoir retrouver Camille.
Presque 14 ans qu’on est ensemble, mais lui annoncer, elle qui s’est simplement endormie en espérant que tout se passe bien, que le bébé qu’elle a porté va sûrement mourir est la plus grande épreuve de ma vie. On m’accompagne enfin en salle de réveil en passant par les couloirs de service, je suis l’ovni de ce matin de fin d’été, les gens savent, je suis le papa aux yeux rougis qui erre entre les services un sac à langer inutile à la main. Enfin, je suis au chevet de Camille.
Le chagrin, immense et intime, étire le temps tout au long du reste de cette journée de guerre intérieure. Après les larmes, les questions, et nous passons enfin ensemble un long moment avec Iris. Lui parler, attraper le souvenir qui nourrira notre deuil, puis la laisser partir. Vivre une vie, entière, en quelques heures. Iris aura toujours mon amour, où qu’elle soit. Mais c’est surtout la projection de celui que j’ai pour Camille, ce que nous avons été capable de créer, qui restera gravé au fond de mon cœur.
13 septembre. Je reprends l’écriture de cet épisode que j’avais mis de côté depuis notre retour à la maison. Nous partons dans quelques jours nous ressourcer dans le sud, mais ce matin nous avons récupéré les cendres d’Iris. Avant d’aller les disperser cet après-midi, elles trônent dans une urne sous un gros bouquet de fleurs sur la table de notre salon. Bizarrement, cet objet semble tellement abstrait qu’il ne me rend pas vraiment triste.
Hier, nous sommes retournés à l’hôpital pour la première fois depuis notre sortie. Le but, commencer notre suivi psychologique et apporter discrètement des chocolats aux gens qui se sont occupés d’Iris et de nous, si bien, avec tant d’humanité. Notre séjour à l’hôpital s’était forcément transformé en sas de décompression. À attendre la nuit à deux dans notre petite chambre rapidement transformée en territoire adolescent avec pour moi un lit de camp et en guise de vivres l’intégralité des barres chocolatées trouvables dans les distributeurs de l’accueil disposés sur une petite table à roulette. Attendre la nuit pour avoir peur, mais attendre cette peur à deux, vivants. Chaque nuit qui passe un peu d’espoir en plus, chaque nuit qui passe un peu plus de mots à partager pour comprendre notre douleur, chaque nuit qui passe à toucher du doigt un prochain fou rire devant un mauvais programme proposé par la télé française.
Chaque matin j’ai pris des notes, et deux semaines après certaines n’ont déjà plus de sens. Du moment où après plus de 60 heures à tourner dans le vide j’ai enfin arrêté le chronomètre de mon iPhone qui m’aidait à calculer l’écart entre les contractions de Camille au passage d’un certain Titouan dans The Voice débarqué de sa Bretagne avec des kouign-amann pour (littéralement) graisser la patte du jury.
Et puis il y’a les signes. Le souffleur de feuilles à l’aube sous nos fenêtres forcément envoyé par ma feu grand-mère Monique – le troisième prénom d’Iris. Et surtout les arc-en-ciel, presque quotidiens en ce début d’automne.
“On la représente sous la figure d'une gracieuse jeune fille, avec des ailes brillantes de toutes les couleurs réunies. Les poètes prétendaient que l'arc-en-ciel était la trace du pied d'Iris descendant rapidement de l'Olympe vers la terre pour porter un message ; c'est pourquoi on la représente le plus souvent avec un arc-en-ciel.” – Wikipedia
Alors parfois on pleure, pour pas grand chose. Mais nous reprenons déjà forme humaine, à voir nos amis, en essayant tant bien que mal d’exorciser notre tristesse depuis les limbes où nous naviguons. C’est un petit peu plus facile pour moi, mon corps n’ayant pas changé. Mais nous sommes ensemble dans ce vide qui n’existe pas, celui d’avoir tout vécu, de la grossesse à l’accouchement, d’en avoir tous les stigmates, et de rentrer à la ville seuls, sans Iris, sans bébé, sans grand chamboulement de vie.
Chaque jour, on se donne des petits défis pour ne pas se laisser ronger par la solitude et la tristesse. Retrouver notre café du matin, où pudique, personne ne nous pose de questions. Retourner faire les courses, avoir à dire une fois, une fois pour toutes, et se sentir meurtri puis plus léger.
Cette newsletter, forcément, est un brin décousue. C’est une façon pour moi de ne pas avoir à re-raconter, une façon de figer dans le temps ma tristesse. C’est aussi le moyen de remercier tous les gens, proches et moins proches, qui se sont mobilisés pour nous, en mots, en pensées, en fleurs et en dons dans la cagnotte organisée par notre famille. Merci.
Je partage tant votre peine. L’ayant connue il y a 3 ans pleurant le départ de notre fils à terme. Je comprends tellement vos mots, votre combat, votre courage et je souhaiterai vous dire, que la suite sera belle, elle sera douce, joyeuse, remplie d’amour, rempli de signes .. oh oui croyez moi ils ne vous quitteront jamais, car Iris sera la, partout avec vous et elle guidera désormais la suite de votre si belle histoire d’amour. Je vous souhaite une belle et grande famille, des sourires, de la chaleur et de beaux arcs en ciel pour vous accompagner.
Avec tout mon amour,
Manon
On se connaît de loin, mais j’ai toujours ressenti un amour immense entre Camille et vous . Vos mots sont justes , beaux et hélas déchirants . Je vous souhaite de tout mon cœur que la magie de l’amour et de tout ce qui existe sur cette terre vous portent encore plus vers une relation encore plus belle et éternelle . Je me permets de vous embrasser .
Anne-Sophie